34h43 pour 230km et 3900m+
Les photos publiées dans ce compte-rendu proviennent de
Un grand MERCI à leurs auteurs-et-trices !
Vendredi 18 mars
J'ai rendez-vous à Nancy à 13h avec Damien et Fred pour faire la route ensemble jusqu’à Château-Chinon, lieu de départ/arrivée du 1er Dénivelé in Morvan (223km – 3700m+).
La « Triplette du Grand-Est » arrive sur le coup de 17h à l’Hôtel de Ville où le retrait des dossards a déjà commencé, animé par Karine, notre G.O. du week-end, qui compare et commente les dimensions des drop-bags déposés par les coureurs. J’en dépose un à chaque CP autorisé, avec du change et quelques barres de céréales : CP 4, 6, 8 (km 86, 127, 161).
On discute un peu avec les amis déjà présents : Ray, Bob, Popol, Corine, Denis, Christian, Julia, Sylvain, William, …, tous des habitués et presque tous finishers d’au moins un U2B (sorry, William).
Mais bientôt, le vent glacial nous invite à remonter en voiture pour nous rendre au Domaine de Chaligny, à quelques minutes de route du départ de la course.
Arrivés au gîte, nous nous installons. Fred et Damien sont au second étage, moi au premier. Je partage ma chambre avec les inséparables bretons, Sylvain et William, ainsi que Denis, le franc-comtois avec qui nous venons de partager les 6h du Patat’Off deux semaines plus tôt, Nathalie et moi. Jérôme Leseurre complète la chambrée. Il est le seul non-hudeubiste parmi tous les coureurs croisés jusqu’à présent.
Le château se remplit petit à petit. Vers 19h, tout ce petit monde est convié au réfectoire pour un briefing animé par Karine et ponctué par Xavier, chargé du balisage du parcours et du classement des coureurs. D’emblée, Karine nous assène un jovial et facétieux « Ne vous en faites pas, vous allez vous perdre ! », aussitôt complété par les explications rassurantes (ou pas) de Xav, quant au fléchage, difficile et potentiellement ambigu dans la traversée d’Avallon. Puis, soucieuse d’enfoncer le clou, notre G.O. ajoute, toujours rieuse : « Vous aurez aussi pas mal de trail et d’escaliers et, pour ça, vous allez sans doute me maudire... mais je n’ai jamais dit que ce serait facile ! ». Toutefois l’ambiance dans le réfectoire est à la rigolade et il en faudrait plus pour nous effrayer, d’autant plus qu’il commence à faire faim et que l’heure approche de passer à table.
La pasta est annoncée et bientôt amenée. Tout le monde s’assied pour un concert de mandibules improvisé. Pour se resservir, on ne se fait pas prier et le rabe de bolo est bien apprécié.
Sur ces entrefaites, Nicolas le Bordelais et son épouse arrivent au château et nous rejoignent au réfectoire, en aveugle, guidés par les effluves bolognaises et le brouhaha d’une veillée d’armes aux rires sonores... de ceux qui ne sont pas encore morts.
Sacré Niklas qui nous refait le coup du biblique clin d’oeil, avec cette tardive et remarquée arrivée, semblant nous lancer à la cantonade un silencieux mais par tous assimilé « Hé, les gars ! Les premiers seront les derniers ! Et Lycée de Versailles » ! De fait, le gars Nico répétera, le lendemain matin, ce départ dont il a le secret, aux avant-postes, comme pour aller chercher son RP sur la première section, dans le sillage de la fusée de tête de course.
S’ensuivent le fromage et la tarte aux pommes avant d’aller tous bien sagement se coucher, Dimeurs et Dimeuses rassasiées et désormais en mal d’un repos qui s’annonce pour la plupart aussi court qu’agité. Le réveil est mis à 4h. La montre et le téléphone sont chargés. Nyapuka tenter d’en écraser.
4h00. Impossible de savoir combien d’heures j’ai réellement dormi. Et surtout en combien de fractions ou micro-fractions. L’impression d’une nuit blanche. Mais au réveil, l’excitation est déjà au taquet, de sorte que le manque de sommeil semble ne pas être un sujet. Mouais… on en reparlera au beau milieu de la nuit suivante, lorsque je verrai des mosaïques étrusques se dessiner sur le chemin sous mes pieds.
En provenance du second et du premier, les Dimeurs et Dimeuses se retrouvent bientôt tous, à nouveau, au rez-de-chaussée, aspirés par le réfectoire qui concentre maintenant une foule bigarrée, mi-endormie, mi-rigolarde, mi-excitée… trois moitiés de soi qui permettront sans doute à chacun de retrouver du rabe d’énergie, plus tard, dans la journée.
Les tartines, croissants et parts de tarte sont négligemment dévorés par des coureurs déjà concentrés.
5h30. Les retardataires quittent le château après un dernier passage par la case (de dépôt) des parts... de tarte et de tout ce qui pourrait, par trop de restes accumulés, gêner le proche départ et les premières foulées.
5h45 – 6h. Les Dimeurs et Dimeuses, au presque grand complet, harnachés, emmitouflés, surexcités, s’entassent, s’agitent, se bisent, s’encouragent, se réchauffent sur la ligne de départ du 1er Dénivelé In Morvan. Joyeuses retrouvailles avec Pierre, Paola, Patrick M, Patrick K, Jean-Michel, … Que des Zudeubistes, ce matin également. Le monde du « 200+ » est petit décidément !
6h – Madame le maire nous accueille, sort de sa poche un anémomètre, et nous souhaite bon vent.
PAN ! C'est parti ! Une longue file de lucioles s’élance dans la nuit à l’assaut des 223,6km de l’aventure morvandelle, Karine et Corine en tête, notre G.O. ouvrant la voie.
Il n'y a donc plus qu'à suivre le guide, en mode "Sainte Trinité/3-en-1/Mets-de-l'huile-il-faut-que-ça-glisse" : l'écran de la montre, les flèches de Xavier, le roadbook de Karine.
Première tranche jusqu’au CP1 : 18km
Karine nous a bien prévenus : les premiers km sont tout en descente et il convient donc de ne pas trop se laisser aller mais de démarrer « avec le frein à main serré», comme il se doit sur ce type d’épreuve. On serre donc le frein à main en déroulant gentiment dans la nuit noire qui nous voit sortir de Château-Chinon puis partir sur la D37 en direction du Lac de Pannecière.
Les petits groupes de 2 ou 3 coureurs se font et se défont au gré des pauses des uns et des autres. Le jour se lève alors qu’on bifurque sur la tranquille D12. Comme prévu, l’environnement est bucolique à souhait, tout en ondulations verdoyantes. Ici une ferme isolée, là des chevaux dans un pré. Et quasiment pas de voitures. Je cours un peu en compagnie de Bob Miorin, puis de Jean-Michel et enfin de Sylvain que je retrouverai un peu plus tard et plus longuement. Popol est là aussi qui décide de serrer encore un peu plus le frein à main. Je réalise tout à coup que je n’ai pas vu Ray au départ. Il me confiait hier soir avoir un doute sur sa condition physique mais espérait tout de même être en mesure de prendre le départ ce matin. Je m’accroche quelque temps à l’idée, peu convaincante, qu’il a peut-être simplement manqué le réveil et s’apprête à « faire une Claire » mais le doute croît avec le temps qui passe... avant de s’estomper définitivement.
A ce stade, nous sommes une petite dizaine, disséminés sur une longueur de 200 à 300m, à tourner entre 6’20 et 6’30 au km, pile poil l’allure que j’ai programmée pour ce départ, avec l’objectif d’arriver vers 8h au CP1 de Pannecière. Et d’ailleurs, nous y voila déjà !
Une tente en bord de route, quelques tables garnies de biscuits sucrés, bananes et quartiers d’orange.
Tip-top ! Il n’en faut pas plus pour le premier ravito qui sert surtout à refaire le plein des gourdes. Nous sommes une bonne petite troupe, 5 ou 6, à nous y arrêter en même temps. Je recharge en eau mes 2 flasques de 50cl, chope un quartier d’orange et une banane et repars aussi sec…
Oh, si sec ? Vraiment ?! Eh bien, non ! J’avoue commencer à chauffer et à transpirer. Les 3 couches qui s’avéraient utiles à 6h du mat sont désormais de trop et il serait bon de s’alléger et s’aérer un peu. Devant moi, Eric Leblacher est le premier à tomber la doudoune pour se mettre à l’aise, en simple T-Shirt. Intérieurement, bêtement et tout à l’étuvée, je me dis que je ferais bien de l’imiter dès maintenant. Mais je n’en fais rien. Et continue à cuire dans mon jus.
Je traverse le barrage de Pannecière dans la foulée de Daniel Mazeau, dit « Bob » en raison du couvre-chef qui ne le quitte jamais, et Jacky Lesueur aka « le Blaireau picard ».
2km plus loin, après un bref passage en forêt, une épingle à cheveu sur la droite nous projette sur la D944, dans une bonne descente qu’il serait tentant, ma foi, de dévaler 4 à 4, qui plus est, avec Eric en ligne de mire, pas loin devant. Alors, on se calme. Et on se répète intérieurement le leitmotiv appris à l’auto-école : « tu serres le frein à main, garçon... tu serres le frein à main ».
Dans la longue ligne droite du 22ème km, après avoir fait un sort à la banane du CP-One, goulûment accompagnée d’une barre de céréales coco-choco, je retrouve mes camarades de la Triplette du Grand-Est, Fred et Damien. Mais alors qu’une toute première section partagée nous semble enfin promise, une soudaine injonction de ma vessie nous prive de cette réunion amicale et du derby Nancy-Metz sous-jacent. Et Eric que je venais de passer… me repasse dans la foulée. Ce petit jeu ne fait que commencer.
Km 27. 2h50 de course. J’ai finalement rejoint Fred et Damien et nous avançons gentiment ensemble depuis 3km déjà. Il commence à faire bien chaud. Au km27, nous quittons la D126 pour prendre la D219 en direction du Col d’Oussy-Retoule. Une voiture est garée sur le côté de la route. Immatriculée en Suisse. Christian Fatton s’octroie un petit somme, après avoir sans doute ravitaillé Julia il y a quelque temps. Comme je m’y attendais, nous ne le reverrons pas avant l’arrivée. Julia et Corine sont évidemment déjà loin devant !
La petite route qui monte au col apporte une ombre et une fraîcheur bienvenues.
Dans cette montée, je rejoins Eric qui me conseille de suivre son exemple et de quitter mon coupe-vent, sous lequel je cuis, perdant bêtement de l’énergie. Sitôt dit, sitôt fait. Première leçon du week-end pour moi. Je m’en souviendrai le lendemain, en zigzagant sur la rive du Lac des Settons. Mais… n’anticipons pas. Nous ne sommes pour l’heure qu’au 32ème km, soit 1/7 de la course.
Eric et moi traversons le hameau de Retoule qui nous amène sur une brève section de la D977Bis avant de bifurquer plein Nord pour passer à Vauclaix au km35. On discute d’organisation de course. J’explique à Eric pourquoi j'ai souhaité passer la main à Antony pour l’organisation des 100km de Metz, tout en restant dans l’équipe organisatrice. Pas toujours évident d’être des 2 côtés de la caméra, avec la double casquette, à vouloir toujours courir et faire courir. Je ne pouvais pas mieux tomber, comme Eric organise lui aussi plusieurs manifestations. Sujet intéressant qui me montre, si besoin était, à quel point nous sommes tous différents, mais tous aussi passionnés.
A la faveur d’une énième pause, je me laisse à nouveau distancer et nous parcourons ainsi les 4km suivants, chacun dans sa course et dans sa bulle. Dans le 39ème km, nous revenons sur Damien Fievet qui s’octroie une mini pause, au moment où son accompagnatrice motorisée se porte à à sa hauteur. Et nous arrivons ainsi tous les 3 au CP 2, situé à l’entrée de Lormes, au km40, après 4h20 de course.
CP2 – Lormes – 40km
Fred et Damien sont déjà dans la place. Pas grand-chose à manger. Je me saisis à nouveau d’une banane à emporter et de quelques TUC, mais j’aurais apprécié un peu de salé, du fromage et/ou du saucisson, pour faire face aux assauts du soleil qui commence à cogner vraiment fort, accélérant la déshydratation et renforçant l’envie de SEL.
Never mind... on recharge les flasques et on redémarre. Go !
Cette fois-ci, je recharge également une 3ème flasque à laquelle je n’avais pas touché jusque là. En effet, le prochain CP est à 30km (au lieu de 18 et 20km pour les 2 premiers) et 1,5 litre (St-Yorre ; eau ; eau+Coca) ne sera pas de trop pour rallier le camping de St-Père, au km71.
Fred reste un peu plus longtemps que d’habitude au CP. Son talon et son genou commencent à se rappeler à lui. Je reprends la route en compagnie de Damien.
Quelques centaines de mètres après le CP, Xavier nous indique l’enchaînement de ruelles à prendre : « à gauche puis, au bout, au mur, à droite ! ». Aucun souci ! Le roadbook est carré, le fléchage (by Xav) itou, et au cas où on sortirait malgré tout de la trace, ma montre me le rappellerait en bipant sauvagement.
Les petites ruelles en question, à l’ombre, offrent un répit rafraîchissant et bienvenu. Et même ce premier escalier dont Karine nous avait facétieusement menacés a finalement un petit côté dépaysant, plutôt sympatoche. Mais il faut dire aussi qu’on en est à peine au premier marathon, encore frais et aptes à goûter ces aimables fantaisies.
Au passage du marathon, en plein centre de Lormes, un fléchage bien visible nous envoie sur la branche de gauche d’une intersection en patte d’oie. Nous apprendrons un peu plus tard/loin par Stéphanie (Lapinou) que Jean-Louis (Crocsman) et Stéphane Leroux ont manqué ce fléchage et sont partis tout droit en direction d’Avallon, parcourant ainsi quelques km, bille en tête, avant de réaliser leur erreur et de rebrousser chemin. Aïe ! Zut alors ! Il doit pester, le camarade Crocsman !
A la sortie de Lormes, on quitte la rue principale pour s’engager sur la droite dans la petite et charmante Rue de la Justice, aussi raide que son nom le suggère, et où Damien et moi nous mettons instantanément à marcher.
Au 44ème km, on débouche sur la Route de Clamecy. La circulation nous incite à progresser à la file indienne plutôt qu’à 2 de front. Et ainsi, sans y prendre garde, Damien et moi laissons l’écart croître, jusqu’à nous retrouver à nouveau chacun dans sa course.
Le soleil cogne de plus en plus fort. Et cette départementale n’offre que très peu d’ombre. Je commence à me demander si les 3 flasques emportées seront suffisantes (quelle blague ! Et quelle grossière erreur de débutant !). 7 bornes plus loin, c’est l’intersection du Km 50. Et c’est aussi le rendez-vous des accompagnatrices motorisées, puisque je retrouve là la femme de Nicolas, ainsi que Lapinou qui a garé la Crocsmobile sur le bas-côté.
Les filles m’encouragent joyeusement au passage, s’amusant de ma « cape de Superman » (j’ai accroché mon maillot rouge à manches longues sur-le dessus de mon sac et celui-ci flotte au vent tel un étendard de campagne), mais en regrettant toutefois que je n’aie pas eu le bon goût de compléter cette tenue en enfilant également le Superslip par-dessus mon short.
Bah ! Foin des Superslip et super cape ! Sur ce DIM alambiqué, je ne devrai mes super-pouvoirs qu’à moi-même et veillerai à préserver le plus longtemps possible la formule sacrée -- « Keep Tonic ! » -- avant qu’elle ne s’inverse et devienne « Kryptonite ».
Le 51ème km, à l’ombre des arbres, apporte un peu de fraîcheur. J’en profite pour passer un coup de fil à Nathalie à qui j’ai laissé un exemplaire du Roadbook avec l’indication, pour chaque CP, de 3 hypothèses d’heure de passage : limite haute (finish en 28h), limite basse (35h20) et chrono envisageable (32h). L’objectif est de ne jamais arriver avant l’heure limite haute (ne pas se cramer) mais, si possible, de ne pas trop s’éloigner de l’heure de passage correspondant au meilleur chrono envisagé.
Pour l’instant, les voyants sont au vert.
Mais le gosier est de plus en plus sec.
Et les gourdes se vident de plus en plus vite.
Entre les km 52 et 55, avant de passer à hauteur de Bazoches (Château de Vauban), étant à sec, je quémande un peu d’eau à l’accompagnatrice de Damien F, garée sur le bas-côté. Me voila donc reparti avec 50cl d’eau, en tout et pour tout, alors qu’il reste plus de 15km jusqu’au CP3 de Saint-Père. Une petite voix me dit que ça ne va pas le faire.
La section 55-65 ne m'a laissé aucun souvenir. Sans doute dans le dur en raison d'un bon début de déshydratation. Heureusement, notre St-Bernard, le bon Luc Valzer, et son assistante, passent par là et s'enquièrent de l'état des Dimeurs et Dimeuses en vadrouille.
Pour ma part, en début de perdition, dans ce désert depuis trop longtemps, je loue leur passage inopiné et les remercie grandement de remplir 2 de mes 3 flasques vides.
J'en suis déjà à 3 litres d'eau pour cette section. Ca me paraît beaucoup. Erreur de débutant ! Incommensurable niaiserie qu'il faudra bien, plus tard, avec le recul, oser affubler du qualificatif plus précis de fatale connerie. Sans blague, à ce régime-là, 40 jours et 40 nuits plus tard, voire un peu plus tôt, je n'aurais plus eu que l'appeau sur les os ! Flûte alors !
De temps en temps, j'aperçois encore la tache jaune de Sylvain, assez loin devant moi. Ce repère me motive pour pousser jusqu'à St-Père. C'est ça, la Bretagne. Ca vous gagne. Sylvain, même en plein jour, mon phare dans la nuit !
Km 65. Marc Villeneuve et 2 autres bénévoles, sont postés à l'entrée de St-Père pour proposer un ravito sauvage à qui en ressent le besoin. Ou l'envie. On ne convoquera pas Balavoine pour trancher la question. De toutes façons, mes flasques sont à nouveau vides et je suis trop heureux -- un mélange de besoin et d'envie sans doute -- de me voir offrir 50cl d'un mélange eau+Coca. Didiou ! C'est ce qu'il me fallait pour attaquer la grimpette à Vézelay ! En outre, désormais pleine, j'aperçois Sylvain, plus si loin que ça à présent, qui alterne marche et trot dans la longue ligne droite qui mène à l'entrée de Vézelay. Alors, on s'accroche et on relance l'alternance de marche et de trot en veillant à privilégier et tenir plus longtemps... le trot.
Je rejoins Sylvain en haut de la petite rue piétonne qui mène à la place de la Basilique.
Là, la pause est obligatoire. Chacun y sera allé de sa photo, j'imagine.
Sylvain et moi ne dérogeons pas à la règle.
On contourne ensuite la basilique par la Rue du Chapitre avant une petite section de "trail", plutôt sympathique, sur environ 700m, au milieu des vignes, qui nous ramène bientôt dans St-Père où nous croisons Esther et Patrick. Nous avons donc 4km d'avance (66<=>70) sur Patrick qui profite d'une pause pour s'enfiler un monumental casse-dalle (tu m'as donné faim, Patriiiiiick !) avant de partir à l'assaut de la Basilique que Sylvain et moi venons de quitter.
Dans Saint-Père, on effectue un rapide gauche-droite sur un pont qui nous permet de franchir la Cure.
Sylvain et moi passons devant la Brasserie de Vézelay, sponsor de l'épreuve, puis bifurquons peu de temps après sur la droite pour accéder au bienvenu ravito.
CP3 – Saint-Père – 71km
Karine est là qui nous annonce notre 6ème (et 7ème) place, ainsi que 2 bénévoles qui nous proposent de quoi nous rassasier. Une bière sans alcool et un sandwich jambon-fromage font notre bonheur. On expédie le remplissage des bidons (eau / St-Yorre / eau+Coca) et aussitôt nous repartons.
Peut-être un peu trop vite... car nous partons à droite en sortant de l'enceinte du camping, au lieu de remonter, à gauche, vers le pont sur la Cure en repassant devant la brasserie. Il me faut 1km avant de réaliser notre erreur et d'appeler Sylvain qui a pris un peu d'avance. Damned ! 2km de perdus ! Bullshit !!!
Bon... Pô grave ! Faisons contre mauvaise fortune, bonnes papattes...
Et c'est reparti... En route pour Avallon !
De retour sur la D957, nous reprenons la direction d'Avallon. Sylvain prend bientôt 100 puis 200m d'avance. Je finirai par le perdre de vue. Les 12 km suivants (72-84) ne sont ni glamour ni folichons, sur la très passante (en 2 mots, fort heureusement) D957 qui relie Saint-Père à Avallon. Le seul passage agréable sera paradoxalement la traversée de Pontaubert, en travaux, dont la rue principale est complètement défoncée, imposant une déviation aux automobiles et nous autorisant par conséquent une paix royale.
Alors que mes gourdes sont à nouveau vides (aurait-il fait chaud, ce week-end, dans le Morvan ?), j'avise une petite grand-mère qui prend le frais, assise sur une chaise posée à même le seuil, dans l'encadrement de la porte d'entrée de sa maisonnette. Comme mu/𝝁 par une invisible baguette de coudrier, j'improvise une brève fraction de course au seuil, m'approchant précautionneusement de l'huis béant pour implorer la pitié de la petite dame et l'eau de son robinet. Bientôt, mes prières sont exaucées et mes flasques regonflées. Aussitôt ragaillardi, requinqué, réhydraté, moralement au taquet, je reprends ma route -- quant à elle toujours aussi défoncée (mais grave ! on n'a pas idée de se mettre dans des états pareils !) -- pour parcourir les 2 derniers km qui me séparent encore de l'entrée d'Avallon.
Las. Il y a loin de l'entrée d'Avallon à sa sortie, indépendamment du fait que le vieux centre est incontestablement fort joli.
On contourne d'abord le supermarché Casino, avec l'espoir de mettre ainsi fin à cette longue section monotone et qui plombe un chouïa le moral, pour plonger en direction du jeu de piste qui doit nous mener au CP4, 3km plus loin. Grâce à la trace GPX affichée sur l'écran de la montre, je réussis à faire mentir Karine et à ne pas me perdre dans le vieil Avallon. J'échoue par contre à trouver du plaisir ou un intérêt quelconque aux sections d'escaliers et de sentes en lacets qui s'enchaînent et influent méchamment sur l'allure de croisière, comme sur le moral.
Après avoir donc pas mal crapahuté dans Avallon, j'arrive enfin au CP4, sis dans un gymnase.
Popol, qui me talonnait dans la dernière montée, arrive dans la foulée.
On s'installe et on récupère nos drop-bags. J'y trouve du linge sec et 2 barres de céréales, mes gourmandises-récompenses programmées à chaque passage de CP : coco-choco et choco-cahouète en alternance. L'alternance, y'a qu'ça d'vrai !
CP4 – Avallon – 86km
On recharge les gourdes tout en piochant avec gourmandise dans tout ce qui se présente : Tuc, petits saucissons, fraises Tagada, quartiers d'orange, ...
Peu de temps après, Fred arrive au CP également, grimaçant en raison d'un genou et d'un talon défaillants. Je ne le sens guère confiant pour la suite mais n'en touche mot.
Puis, bizarrement (vu que je le pensais loiiiiiin devant), c'est Sylvain qui pénètre dans le gymnase. Comme je m'étonne à haute voix de le trouver là, il m'explique, furibard, s'être à nouveau égaré (au niveau d'une intersection où il fallait descendre une allée en lacets et non repartir tout de suite à droite, dans une direction fléchée également en prévision du retour, prévu par cette même allée en lacets... après passage au CP).
Pendant que Sylvain peste et se restaure -- "Cachez ce pesto rosso retors qui me fait prendre aux dents le mors !" --, Popol et moi sommes désormais parés à redécoller.
Popol demande un café et je lui emboîte le gobelet.
Mais finalement, contre toute ta tante, et sans que mon oncle trouve à y redire, c'est avec Sylvain que je repars. Par un sentier pentu, pierreux, casse-margoulette(-et-quadris) à souhait, qui nous fera pester encore un peu. Pour la forme 😆
Après avoir remonté l'allée en lacets et croisé à cette occasion Jean-Louis, Jean-Michel et Patrick, on traverse à nouveau la vieille ville, passant sous l'arche de la Tour de l'Horloge puis tout droit jusqu'à la Tour Gaujard. Magnifiques, l'une comme l'autre ! Des tours qui valent le détour, assurément. Je garde toutefois cette opinion pour moi, n'étant pas tout à fait certain que Sylvain acquiesce.
La sortie d'Avallon se fait par la 5ème section fantaisiste du secteur. Cette dernière blagounette prend la forme d'un court et pentu sentier en terre, tout en lacets, qui nous ramène bientôt sur la plus carrossable et plus agréable D944 où on peut enfin se remettre à dérouler un peu la foulée.
Mais 1km plus loin, le parcours s'enfonce dans les bois par un chemin tout en caillasses et en ornières, à nouveau peu propice à la course. Contraints et forcés, et sans doute encore un chouïa énervés, on réactive donc le "mode randonnée". Damned ! Il ne faudrait pas que ce genre d'épisode dure ni se répète trop, car il y a tout de même une barrière horaire à tenir à bonne distance et qui ne tarderait pas à nous coller aux fesses bientôt, à ce rythme là.
Après 2km à ce régime, sans sel attique, on débouche à nouveau sur une petite route où la course - le petit trot - reprend ses droits. Sylvain me distance rapidement et n'est bientôt plus qu'un point (jaune) à l'horizon.
Rendu à ma solitude, je profite du calme de la campagne morvandelle et de sa bucolicité exacerbée. Derrière une haie, un percheron profite lui aussi de cet instant paisible. Sans doute ne sait-il pas, lui non plus, qu'il risque de finir en saucisson. Hon ! Alors, mu/𝝁 par une compassion de bon aloi - yo ! -, je m'approche de la haie et, rassemblant mes idées, j'en parle à mon cheval, tout surpris de se trouver ainsi assailli.
Quasiment aucun souvenir de la section CP5-CP6, entre Avallon et Quarré-les-Tombes.
Je marche de plus en plus. La nuit commence à tomber. Une certaine lassitude semble vouloir remplacer la motivation initiale. Mais dans le même temps, en tâche de fond, le mot d'ordre du week-end, l'injonction péremptoire, reste bien présent(e) à l'esprit : "Cette fois-ci, hors de question de ne pas finir !".
Aux environs du 100ème km, peu après Saint-Germain-des-Champs, où n'est peut-être jamais venu se produire Boris Vian, je distingue, en me retournant, à quelques encablures derrière moi, une loupiotte qui vacille et se rapproche in-exo-rable-ment.
Serait-ce un autre concurrent ? Ou serait-ce moi qui me rattrape, d'un pas hésitant, dans cette quête de soi effrénée (et freinée, surtout, pour le moment) qui me voit perdre un peu (beaucoup) de mon allant ?
Mais c'est bien sûr ! Celui qui, râblé en diable, s'exerce à te poser un lapin, sur une épreuve comme celle-ci, celui-là ment assurément. Il se ment à lui-même comme il ment à autrui. Et sans que les verrats du quartier, aux quartiers bientôt fraîchement découpés, puissent y trouver rien à redire ou à grogner. Ou bien peut-être seulement, simplement, caudalement-et-tire-bouchonnément : 9, 9, 9 ou 8, 8, 8 !
Coupant court à mon délire mancunien -- mancuno-lapino-porcin -- le gars Popol, fringant, alerte, la banane radieuse, me passe comme une fleur, non sans un mot d'encouragement que j'accueille avec reconnaissance et stocke précautionneusement dans une des poches extensibles de ma ceinture fourre-tout.
Pour sûr, on trouve de tout, là-d'dans ! Quel bordel, ma bonne dame ! Un enquêteur avisé laisserait sans doute tomber, sceptique, un laconique : "Il n'y manque que les explosifs !". Et en vérité, je ne suis pas si certain qu'ils n'y soient pas... au vu du finish à suivre et dont je suis bien loin encore de me douter que, par-devers moi, je commence déjà à le préparer. En effet, l'apathie saupoudrée par la nuit, encore augmentée par la fatigue générée et incrustée au gré des km parcourus, ménage tout au fond du bonhomme, bien planquée, une réserve d'explosivité qui ne demandera bientôt qu'à être révélée, au bon moment, quand s'allumera le voyant rouge et clignotant : "URGENT".
Mais, n'anticipons pas...
Après un peu plus de 110km -- distance réelle courue, incluant déjà un peu de "jardinage" --, j'arrive au CP5, peu de temps après Popol, après avoir "contourné l'église", comme indiqué sur le roadbook, et alors qu'un bénévole me pourchasse pour m'indiquer de passer plutôt devant celle-ci, craignant sans doute que je poursuive mon chemin et manque l'arrêt au stand. Mais, je vais te dire, mon gars : aucun risque que j'oublie de m'arrêter !!!
CP5 – Quarré-les-Tombes – 107km (110 pour moi)
A partir de ce CP5, tous les CP seront désormais en intérieur, au chauuuuud, confortablement douillets et délicieusement piégeux pour qui songerait encore à optimiser la durée de ses arrêts.
Sylvain est encore là, lui aussi, lorsque je m'affale sur une chaise devant la table gourmande, copieusement garnie. Mais, lui, a l'expérience de ce type d'épreuve. Il ne s'attarde pas. Sitôt rassasié et ravitaillé, il reprend sa route. Je reste donc avec Popol et les gentilles bénévoles, très avenantes et qui voudraient nous voir manger et boire de tout. C'est du moins l'impression que leur accueil me fait. Foi de moi, on a connu des tombes moins hospitalières, pour sûr ! Pendant qu'une gentille Miss remplit mes gourdes, je commence à souffler sur la soupe au potiron fumante qu'on vient de me servir. Hmm... Que ça va être bon, ça !
J'avise également tous ces petits réceptacles qui débordent de bonnes choses semblant me susurrer "Mangez-moi, mangez-moi, mangez-moi-ah". Il y a même des rouleaux de Réglisse pour aider le menu à passer et faire en sorte que tout cela glisse. Le petit homme en moi n'y tient plus. La digue cède. Intérieurement, je rugis (mais pas de homard au ravito, ceci dit).
Me reviennent en mémoire les récits de 24h de Chantal T, du temps béni du forum-ADDM-Heubi, au début de ce siècle : Chantal avait cette habitude de rouler une barre de chocolat dans une tranche de jambon avant de dévorer le tout à belles dents. Bizarrement, je n'ai jamais essayé cette recette-là (mais peut-être attends-je Saulieu pour pareille gastronomique aventure). Par contre, l'envie me prend que j'accepte incontinent de tenter à mon tour de nouvelles expériences, dans cette même catégorie des assortiments incongrus. Mon choix se porte sur de petits saucissons secs que j'accompagne de quarts de kiwi, délicieusement frais et acidulés, engloutis avec une grâce toute rabelaisienne, dans le même temps que je trempe quelques tranches de pain d'épices dans mon bol de soupe au potiron.
Assurément, nul ne fut jamais aussi impeccablement, aussi savoureusement, aussi absurdement rassasié... et paré dès lors à reprendre les armes, la route, la frontale, le roadbook.
Popol est sans doute du même avis, peut-être dans le même état d'esprit et d'estomac, lorsqu'il m'informe, au beau mitan de ces agapes incongrues et avant même que cette efficace ripaille me laisse pur et repu, qu'il est temps pour lui de repartir.
Constatant mon désarroi, sans doute, une des bénévoles aux petits soins me propose alors de compléter mon dîner par un plat de quinoa qu'elle se fait fort de préparer en 2 temps, 3 mouvements, avant même que j'aie digéré tout ce que je viens déjà d'ingurgiter. Mais à ce moment, une petite voix -- serait-ce celle d'Habiba ? -- me souffle à l'oreille : "Tsss, tsss... tu as déjà bien assez mangé, garçon. Et ce quinoa-qui-noie-rait ton estomac profitera bien plus sûrement à quelque prochain concurrent."
Je sors donc de la Mairie-CP et m'engage, droit devant, dans la mauvaise direction.
Ma montre, heureusement, prend le relais de ma cervelle embrumée et, plus carrée que je ne saurais l'être à cette heure tardive, me voyant décarrer de travers, sonne avec véhémence les vêpres d'outre-tombe, à moins que ce fussent les complies : "A droite, on t'a dit ! A droite !" (une fois n'est pas coutume, pardi).
Eh bien, allons-y ! Cette aventure ne sera pas de celles qu'on plie !
Et ça repart. Comme c'est venu. A donf ! Pas loin de 9' au kilo !
Faut-il vous l'emballer ?
Après avoir traversé la pelouse de ce que je suppose être le parc de la mairie, puis une aire réservée aux camping-cars, je retrouve la route, la trace, l'allant, la course.
Je suis bientôt dépassé par un Dimeur dont la vitesse me surprend. Avant que j'aie pu dire quoi que ce soit, celui-ci m'indique qu'il court en équipe (et préfère le préciser plutôt que laisser gamberger ceux qu'il double et enrhume depuis son récent passage de relais, au CP4, expliquant sa fraîcheur et sa célérité).
Une heure après mon départ du CP5, j'ai parcouru 7km supplémentaires. Pas de doute : l'allure chute.
On se console en se disant que le relief n'y est pas complètement étranger sans doute. Comme dans ce passage super sympa, dit de L'Huis au Gris, sis au fond d'une cuvette profonde, où un mage-au-chapeau-pointu vous tire soudain de votre torpeur, tentant de vous stopper net dans votre course, d'un sonore et terrible "Vous ne passerez pas !".
De fait, les courbes de niveau qui se resserrent, comme pour mieux se tenir chaud, enserrent aussi mes foulées dans un étau. Seule la marche passe ici. Et ce n'est pas plus mal, car, même de nuit, c'est très joli. S'arrêter ? Sans doute pas, non ! Mais temporiser, ça oui, assurément. Nécessairement.
Et puis... et puis, le manque de sommeil commence à se faire sentir également. Sournoisement. Sans dire son nom. Qui me transforme en pape du bitume lui adressant, hagard et zigzagant, d'inconscientes bulles. Et son nom bulle et m'embullera pesamment, longuement, jusqu'au moment d'éclater, lors du FINISH tant espéré, avant de me laisser enfin sombrer.
Mais qu'il est difficile, décidément, au moment de rédiger cette traversée, de rester dans l'instant présent et de résister à la tentation, apaisante et libératrice, d'en anticiper l'arrivée !
Ce petit passage bien agréable, tournicoti-tournicotant en diable et ondulant délicatement, dans le souvenir d'un soleil couché depuis longtemps, prend fin avec la traversée du Barrage de St-Agnan.
Gasp ! Ici, les choses se gâtent.
La section qui s'ensuit (117-119) -- 2km d'une sente gadouilleuse à souhait -- nous a été vendue par notre espiègle-et-vicieuse-GO-en-cheffe comme une joviale blagounette et un clin d'oeil aux fadas d'ultra, auxquels on propose donc le pari osé de prendre du plaisir (le vocabulaire mériterait lui aussi d'être ici un peu affiné) à s'embourber délicatement, entre deux sections de planches permettant de progresser à pieds secs... ou d'être jetés aux requins du lac.
C'est que... la perception d'une situation donnée peut considérablement varier suivant qu'on est frais et dispos ou qu'on a déjà, a contrario, depuis quelques longues heures déjà , bourlingué, crapahuté et passablement gambergé. Et dans le cas présent -- HIC (sacré "hic", vouivoui) & NUNC --, cette fucking section de 2 bornes à peine, je crois bien qu'on la recrache, tous autant qu'on est, par tous nos pores et par tous les canaux susceptibles de nous permettre de l'expectorer.
Didiou ! C'est TROP ! Cette section est de trop !
A FROID, je ne dis pas. Son charme théorique semble, il est vrai, potentiellement discutable, envisageable, peut-être même sexy, marrant, poilant, farceur et de nature à nous forger des souvenirs mémorables... Va savoir, Charles ! Mais à chaud... Non. Non. Nooooooooonnnnn !!!! 😲😭
Distinguant à grand peine les arbres qui bordent le boueux single et en délimitent les contours, je manque à deux reprises de m'empaler -- j'en rajoute ? Bon... peut-être un peu, ok ! -- sur une branche perdue, tendue vers l'innocent Dimeur, inconscient du piège ainsi tendu vers l'innocent Dimeur, inconscient du piège ainsi tendu vers l'innocent Dimeur, inconscient du piège ainsi tendu vers l'innocent Dimeur, inconscient ...
A mi-chemin, mi-bourbier, mi-plancha, mi-galère, un aboiement furieux me crispe soudain. Un peu plus encore. Le foutu clébard que les Dimeurs dérangent dans sa canine quiétude se fait fort d'en informer tout le quartier, le bois-des-branchés-et-planchés tout entier, aboyant à qui mieux mieux à chaque nouvel embourbant de la morvandelle caravane.
Passée la première frayeur, je prends les mesures qui s'imposent et me mets à aboyer à mon tour, avec les moyens du bord, très moyens assurément, comparés à la prestation haut-de-gamme du hargneux quadrupède. J'ai beau convoquer l'Iguane pour m'aider à hausser le ton et démultiplier les décibels, rien n'y fait. La queue basse et l'envie d'être ailleurs, je me presse alors de faire en sorte que ce voeu se réalise dans les meilleurs délais... et allonge tant que faire se peut la foulée. Mais à toute chose, malheur est bon ! Si j'ai manqué de chien sur cette section cauchemardesque, j'aurai aussi et surtout, à cette occasion, et sans doute par effet de surcompensation, retrouvé la foi, l'envie d'en découdre à nouveau et d'enquiller les kilomètres... à condition que ceux-ci s'avèrent dûment bitumés.
Cet épisode présente un autre avantage : le fait d'avoir dû prendre la pause statique pour aboyer à la lune et tenter d'en imposer ainsi à l'imprévu mâle α (que je soupçonne fortement de m'avoir identifié en tant qu'orga β) m'a permis, bien involontairement mais peut-être pas inutilement, de tutoyer l'allure exceptionnelle de 13'/km avec laquelle je vais bientôt devoir composer. Bien que je ne le sache pas encore.
Il me reste à présent 8km à peine, une paille, avant le prochain CP qui s'annonce grandiose, dans la Maison du Parc (Naturel Régional du Morvan). Je savoure le cadre par avance. Et en attendant, j'avance. Hectomètre par hectomètre.
La campagne alentour baigne dans un calme contagieux.
C'est tout juste si quelques lumières, de-ci de-là, signalent une ferme isolée, un hameau désolé.
Mais alors que ma montre m'annonce en approche du CP6, la nuit reste d'encre, désespérément, sans aucune source de lumière ou d'activité humaine qui m'inviterait à jeter l'ancre, incidemment.
Nom de Zeus ! Qu'est-ce encore que ce maléfice !
N'ai-je donc tant erré que pour ce néant subreptice ?
Et ne suis-je desséché par mes pas répétés
Que pour mieux envier mes potes réhydratés ?
Apitoyé par mon monologue intérieur, le Dieu Coros (Apex 46mm) daigne se manifester et m'informe, goguenard, que le CP6 est désormais théoriquement derrière moi. Pourtant, rien n'indique aucune trace de vie par ici. Ni devant, ni derrière, ni sur les côtés. Un chouïa vénère, je tourne les talons et revient sur mes pas à petites foulées. Après 500m, je distingue la Crocsmobile de Stéphanie, garée sur le côté droit de la route. Je m'approche. Fred est assis sur le siège passager, dans le coaltar, mais suffisamment réveillé pour m'indiquer que l'accès au CP6 se trouve... ici-même, de l'autre côté de la route.
Hein ? Quoi ! Comment ? Je regarde mieux... de l'autre côté de la route. Et distingue, dans la pénombre, le début d'une allée. D'après Fred, celle-ci mène au CP6. Vaguement incrédule, je décide toutefois de tenter crânement ma chance. Après tout, pourquoi Fred me ferait-il cette blague idiote de m'envoyer dans un pré ou dans un étang ? Et contre toute attente, alors que rien ne permettait de l'imaginer, il y a bien là, au bout de cette discrète allée, un petit bâtiment que l'on peut contourner afin de le découvrir éclairé et dans lequel on a également la possibilité de pénétrer. Je me frotte les yeux, regarde à gauche et à droite, reconnaît Xavier, identifie des tables garnies de trucs à boulotter. Pas de doute : c'est bien ça ! OUF !
Je me restaure, recharge mes gourdes et repars après avoir remercié les bénévoles qui veillent pour nous (à la différence de nous autres, coureurs, qui veillons pour nous).
En quittant l'allée de la Maison du Parc, au moment où je débouche à nouveau sur la route, là où Fred et Lapinou sont garés, je croise Jean-Louis et Jean-Michel qui arrivent en sens inverse et qui ont donc, eux aussi, loupé l'accès au CP. Damned !
Je remets les gaz et propulse la machine à une allure de folie, à nouveau proche des 9' au kilo, avant de gonfler la voilure, coca et café aidant, pour atteindre bientôt un époustouflant 7'20 au mille.
La section suivante est courte et exclusivement routière, comme toutes les sections à suivre désormais. Cette donnée me booste le moral. En outre, la météo qui prévoyait quelques averses nocturnes semble bien s'être fourvoyée. Et on lui en sait gré.
La lune est quasiment pleine (mais, non, non, Karine ! Je ne me transforme pas en loup-garou ! Pas plus que je ne décapite les colombes avec les dents... ça n'est plus de mon âge, ce genre d'errements) et offre assez de clarté pour progresser sans frontale. Ca tombe plutôt bien car la mienne commence à clignoter, signe annonciateur d'épuisement de la batterie. Je coupe donc la frontale pour l'économiser, restant prêt à la rallumer ponctuellement, en cas de croisement de véhicule (ce qui n'arrivera qu'à deux ou trois reprises à peine dans les 6h suivantes qui nous séparent du jour).
La progression de nuit, à la seule clarté de la lune, procure au Dimeur nimbé de silence un apaisement incroyable, indicible, délicieux. Il me reste juste assez de conscience pour considérer et m'amuser du contraste entre l'allure lourde et lente qui est la mienne et cette sensation de flotter au-dessus de la route, comme dans un cocon d'invincibilité.
L'entrée dans Saulieu se fait clandestinement, via le discret Chemin de Montivent, une petite rue qui dessert un lotissement de pavillons modernes. Après une intersection, il ne faut pas manquer, sur la droite, l'entrée du chemin qui mène au stade. Xavier avait attiré notre attention sur cette difficulté lors du briefing et je guettais donc (un peu nerveusement) la dite entrée, a priori pas évidente à trouver.
Moins de 5 minutes plus tard, je passe derrière la tribune du stade et me dirige vers une loupiote qui clignote (ça rime, c'est donc sans doute par là) au milieu d'un petit bâtiment qui doit être le gymnase annoncé.
2h - CP7 - Saulieu – 139km (144 pour moi)
Quel plaisir de rentrer au chaud et de se sentir attendu et accueilli par des sourires bienveillants ! Comme au précédent CP, je suis le seul coureur présent. Popol et Sylvain doivent être loin (Ndlr : un coup d'oeil à la feuille de pointage me détromperait sur ce point, mais sur le moment je n'ai pas à l'esprit ces considérations de compétiteur et ne pense même pas à m'informer de l'avance de mes prédécesseurs ; je n'ai d'ailleurs pas plus idée de mon avance sur mes poursuivants directs).
Je ne m'attarde pas trop et décampe une fois mes gourdes rechargées. Mais une certaine déconcentration va m'être fatale : je recharge mes gourdes en eau et snobe le Coca qui m'avait pourtant bien réussi jusque là.
La section suivante mesure 23km et mène au CP8 de Gouloux où mon dernier drop-bag m'attend. Toutefois, je n'attends plus grand chose de mes drop-bags. J'y avais mis des vêtements chauds pour le cas où les averses attendues nous auraient effectivement douchés, mais il semble bien qu'on doive y échapper.
Un des bénévoles m'accompagne sur environ 300m pour m'indiquer la direction à suivre, au bout de la Place Charles de Gaulle, ce qui ne m'empêche pas de me planter et de faire quelques hectomètres supplémentaires sur la Rue d'Argentine, sans doute grisé par son allure de "Champs Elysées" tout éclairés.
S'ensuit une section très agréable d'environ 1km pour traverser une partie du centre puis les faubourgs de Saulieu.
Au km140 (théorique), au rond-point, je poursuis en face, comme indiqué sur le roadbook, et me retrouve bientôt, à nouveau, en pleine nature, avec la patate et une belle envie de courir. Chouette alors !
4km plus loin, la route surplombe le Lac de Chamboux, dont on ne voit absolument rien, mais qui est sans doute très joli (dis, on reviendra, hein ? dis !).
Au km146 (théorique), je suis rattrapé par deux loupiotes. Ce sont Jean-Michel et Patrick qui me reprennent, juste au moment où nous quittons une belle départementale pour nous engager sur une minuscule route qui attaque d'emblée, pleine pente. Ouch ! Ca grimpe sévère !
Nous traversons maintenant Fétigny. Ce hameau a l'air tout petit et tout mimi. Ca vaudrait le coup d'y repasser de jour pour confirmer. Pour l'heure, en tous cas, il fait tout nuit et Fétigny fait tiny et... trop mimi (l'aurais-je déjà dit ?).
Elle s'adoucit bientôt, mais nous continuons à monter... et je commence à avoir l'impression que cette côte n'en finira jamais. Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Je commence aussi à avoir des hallucinations. Sous mes pas, le bitume semble avoir été remplacé par une mosaïque de tout petits -- very tiny -- morceaux de carrelage. J'écarquille les yeux, me penche en avant, le visage à hauteur de genoux, pour en avoir le coeur net. Je m'efforce de voir ce que je devrais voir, mais rien n'y fait : la mosaïque est toujours là ! Je n'insiste pas. Demain est un autre jour. Je prends rendez-vous. On verra bien, à ce moment-là, s'il existe toujours un lien fiable entre ce que je regarde et ce que je vois.
En attendant, l'ascension dure, dure... et n'en finit pas de me paraître interminable.
Patrick a pris les devants. Dans le lointain, on ne le distingue plus déjà.
David Cholez est avec nous également. Il accompagne Jean-Michel en voiture et fait des sauts de puce afin de pouvoir lui proposer barres, gels et boissons tous les 1 ou 2km.
Dans cette inoubliable, inénarrable et surréaliste section [146-156], nous sommes également surpris par quelques gouttes qui se transforment brièvement en micro-flocons (Ndlr : je n'ai pas froid du tout mais aurai confirmation le lendemain que la température est tombée à 0°C dans la nuit). Mais à peine a-t-on tiré la capuche du coupe-vent par-dessus la casquette, pour s'abriter, qu'on peut à nouveau la retirer. Les intempéries, décidément, n'auront guère duré et encore moins plombé cette belle partie de jambes austère qu'il eut été d'autant plus cool de pouvoir partager jusqu'au bout avec Fred si son genou ne s'était remis à faire des claquettes.
Arrivés au Carrefour de la Chapelle, il nous reste 5km à parcourir pour rallier le CP de Gouloux. Sur cette section, sans forcer l'allure, nous rattrapons finalement Patrick qui n'était pas si loin devant... ou qui s'est peut-être octroyé une pause régénératrice.
Au km161 (théorique), nous entrons dans Gouloux. Et cherchons des yeux un signe de vie, d'animation, de rires et de chansons, de kiwis et de saucissons...
Le CP8 ferme dans un peu plus de 20 minutes et fait office de barrière horaire, ce qui signifie que nous serons tous les 3 éliminés si nous ne le trouvons pas à temps. Or, d'après le roadbook, nous y sommes. Sauf que... nous n'y sommes pas.
Ou bien le CP a peut-être été déplacé ailleurs ? Petit coup de flip.
Dans le doute, j'essaie de ne pas trop penser à la mésaventure du CP 6 qu'il serait ballot de rééditer. On croise donc les doigts et les orteils et on poursuit de plus belle. Patrick essaie d'appeler Esther mais il n'a pas de réseau. Pô grave... ça va le faire.
On est censés tourner à droite, à un moment donné, puis trouver la salle des fêtes 300m plus loin, légèrement en contrebas sur la droite de la route. Finalement, une intersection se présente effectivement. Nous partons sur la droite et hâtons le pas. Et on arrive enfin au CP8, 10 minutes avant sa fermeture.
6h10 - CP8 - Gouloux – 162km (168 pour moi)
Patrick, ne s'arrête quasiment pas. Je viens à peine de m'asseoir qu'il repart déjà.
Jean-Michel et moi restons un peu plus longtemps, en compagnie de David.
Le temps d'une soupe chaude, d'un café, de se remettre les yeux en face des trous.
Pendant que des bénévoles, toujours aux petits soins, remplissent mes gourdes, je reçois un coup de fil de Lapinou. Mauvaise nouvelle : Jean-Louis vient seulement d'arriver au Carrefour de la Chapelle qui indique la direction de Gouloux. Cela signifie qu'il lui reste environ 10 minutes pour parcourir 6km. C'est donc la fin de l'aventure pour Master Crocsman. J'accuse le coup. Mince, ça n'est pas rien ! Ce genre d'épreuves, Jean-Louis les enfile d'habitude comme des perles. Sacré coup dur. Mais, comme dit Stéphanie, philosophe, avant de raccrocher : "c'est le jeu, c'est comme ça".
Habiba a, elle aussi, été rattrapée par la barrière horaire. Jean-Mich et moi sommes donc désormais les deux derniers concurrents. Nous fermons la marche. Et d'ailleurs, il est sans doute grand temps de repartir.
Alors que je me penche sur le roadbook pour tenter de faire le point, Luc, le Spartathlète, s'approche, rassurant : "Il vous reste 11h pour 61km ; c'est bon, les gars, c'est largement faisable".
Au moment où nous quittons la salle des fêtes de Gouloux, Xavier annonce la fermeture du CP, tout juste 7 minutes avant l'heure limite fixée par le règlement du DIM.
Nous achevons la traversée de Gouloux entre chien et loup. Et glouglou.
Le jour commence à poindre. Et on ne vas pas s'en plaindre !
Avec l'aube naissante, c'est une nouvelle course qui commence, un changement de paradigme qui nous invite à nous refaire la cerise au gré des calories et d'une belle énergie retrouvées par la grâce conjuguée de gourmands nutriments dévorés et de l'action régénératrice des rayons du soleil qui ne tarderont pas à darder.
Dans les faits, l'enthousiasme s'avère un peu moins survolté. L'allure est poussive. La caboche, déconnectée. Certes, on met toujours un pied devant l'autre, mais sans être bien certain de rester motivé.
Après 8km d'un cheminement erratique, encalaminé par le caractère rural et désertique d'un environnement pourtant charmant, nous arrivons au village de Montsauche-les-Settons où David nous attend avec -- ô joie, ô félicité ! -- un pain au chocolat. Merci, David ! Merci, mon roi, pour cette douceur dont on se goinfre (élégamment) et qui recharge assurément les batteries et l'envie, au moins autant que l'estomac !
En outre, le nom de ce village ne laisse aucun doute : nous approchons du Lac des Settons dont notre GO-du-DIM nous a vanté la beauté et qu'il me tarde par conséquent de découvrir. Cet espoir prend même la forme d'une prière adressée au lac (lequel reste toutefois, par nature et/ou par héritage, peu propice à inciter le temps à suspendre son vol, je le sais bien) : "Puisse la gamberge qui me taraude s'estomper bientôt, sur ta berge qui m'attend et où l'envie tard rôde, comme mes jeux de moto, pour tromper le temps".
4km plus loin, à l'approche du barrage qui annonce le bout du lac, je réalise ma plus belle marque kilométrique du week-end : pas loin de 14' pour ce 180ème km !
Sur les 5 premiers km du demi tour du lac, je garde Jean-Michel en visuel, environ 300 à 400m devant moi. Puis, quand on quitte la D193 pour une autre départementale apparemment moins passante, et alors que la section qui débute ici s'avère vraiment idyllique, longeant la rive sud, avec vue directe sur le lac et ses îles et sur les petites embarcations amarrées à la berge, mon moral et mon allure chutent encore un petit peu, d'un coup. Diantre ! On ne doit plus être bien loin du fond. Dès qu'on y sera, il faudra penser à donner une poussée du pied. Pour commencer, peut-être, à remonter.
Parvenu au (bout du) bout du lac, j'entends soudain des pas précipités derrière moi. C'est Patrick qui me passe en trombe, alors que je le pensais loiiiiiiiiiiiiiiiin devant. Me voyant surpris, il m'explique avoir suivi une flèche, devant lui, sur un chemin, et avoir ainsi pratiqué encore un peu de jardinage avant de réaliser son erreur et de faire demi-tour. Le son de ces explications me parvient plus ou moins distinctement, dans le sillage de Patrick, porté par l'air déplacé par son passage, alors que le Marseillais aux bâtons est déjà loin à nouveau. Il faut dire que, pour qui n'a jamais été témoin de cela, voir Patrick empoigner ses bâtons de trailer et, sans quitter la marche, lancer une accélération, c'est vraiment impressionnant : il acquiert immédiatement une vitesse que bien des coureurs lui envieraient. A fortiori des coureurs ayant déjà pas loin de 200 bornes en continu au compteur.
Pour ma part, je ne relance quasiment plus et stagne, depuis quelque temps déjà, sur un vilain petit 6km/h marché dont le caractère pathétique m'afflige grandement mais pas suffisamment pour m'inciter à me révolter et me reprendre en main. Cela va venir. Heureusement. Mais il y faudra un élément déclencheur qui fait pour l'instant cruellement défaut.
Un petit souci supplémentaire -- à moins qu'il s'agisse d'une des causes de l'état dans lequel j'erre (et peut-être même la principale ?) -- me turlupine également : j'ai la gorge de plus en plus sèche et bois donc très fréquemment. De l'eau uniquement. Car je n'ai plus que de l'eau dans mes flasques (mais quel est le couillon qui a réclamé de l'eau au dernier ravito ?! Ah zut, c'est moi). Mais après avoir bu deux gorgées, je m'arrête systématiquement, 20 mètres plus loin, pour aussitôt licebroquer. Je n'y comprends rien mais ne puis que constater le phénomène.
Il semble bien qu'un camarade farceur m'ait fait une vilaine blague, peut-être lors de quelque perte de conscience momentanée (et les moments tannés ne manquèrent pas, ces dernières heures, dès lors que le manque de sommeil fut là), substituant à mon insu quelque vulgaire morceau de tuyau à mon appareil digestif d'oiseau.
Le contenu de mes 3 flasques y passe sans aucunement me réhydrater toutefois. Je m'évertue à compisser sobrement, délicatement, et à intervalles réguliers, le pourtant peu asséché mais au contraire bien vert bas-côté. Après une bonne heure de ce petit jeu débile, je suis à sec, au fond du trou.
Mais j'arrive aussi, enfin et heureusement, en vue du château-fort -- le CP9 -- perché sur un monticule, comme pour le mettre hors d'atteinte des Dimeurs en détresse. But... Pa ni pwoblem ! Des tresses, ça fait un bail que je n'en porte plus. Alors, les gourdes vides et le casque nu, je gravis ce dernier coup-de-cul qui mène à la mairie de Gien-sur-Cure, avant-dernier CP du DIM en cours.
11h10 - CP9 - Gien-sur-Cure – 189km (195 pour moi)
Exténué, fourbu, je m'affale sur la première chaise venue.
Pas mal de monde à ce CP9, tenu par Esther et Valérie qui me chouchoutent et tentent de trouver les mots, les fluides, les solides qui m'aideront à repartir du bon pied.
Je ne sais plus trop ce que j'y mange, ce que j'y bois. Je sais par contre que l'empressement de Valérie et Esther à me proposer tout ce qui pourrait me faire du bien au moral et au bidon, me va droit au coeur et au carburateur.
Luc est présent également, ainsi que Xavier qui va pouvoir finaliser la feuille des temps de passage du CP9, et les Ultr'Ardéchois, Laurent et Isabelle.
Après un temps certain, trop court et trop long à la fois, passé à comater sur ma chaise, je me redresse et entreprends de repartir.
Cette fois, pas d'erreur de carburant : les gourdes sont gonflées à péter de St-Yorre et de Coca. Il va falloir booster pour finir dans les temps. 6h pour parcourir 35km. Sur le papier, pour un gaillard reposé, c'est bien entendu risible de facilité. Mais dans mon état, et alors que les 13 derniers km ont été exclusivement marchés à une allure plus proche de 5 que de 6km/h, ça me paraît soudain tout sauf évident.
Or donc, il s'agit maintenant de réveiller la bête !
On n'est pas venu là pour bâcher encore une fois. C'est juste hors de question !
La question n'est pas de savoir si je vais finir, mais seulement... dans quel état.
Moins d'1km après le CP, alors que j'attaque une bonne petite côte en sous-bois en relançant un petit trot hésitant, je distingue, en haut de la bosse, un Van qui descend lentement, comme pour s'arrêter sur le bord de la route. Je me dis que je vais devoir expliquer à ces gens qui ont sans doute perdu leur chemin... que je ne suis pas franchement du coin et que je suis bien plus (é)perdu qu'eux sans doute... même si, moi, je connais mon chemin. Mais en fait de touristes égarés, c'est un barbu jovial que je vois sortir du Van. Pierre ! Pierre et Paola ! Hey ! Que ça fait du bien ! Accolade, encouragements... Veux-tu quelque chose à boire ? Non, merci, j'en sors... et il faut que je booste ! OK, ça va le faire, on te retrouve plus loin ! Tope-là, à tout à l'heure !
Ces retrouvailles me font un bien fou. Après avoir bâché prématurément (DNF km85), Pierre et Paola ont décidé de parcourir en aller-retours la fin du parcours du DIM afin d'encourager les derniers concurrents.
Je me refais la cerise à la vitesse Grand V.
1km plus loin, c'est une longue descente qui commence : plus de 6km à dévaler jusqu'à Cussy-en-Morvan. Je découvre alors avec bonheur que le fait d'allonger la foulée a pour effet de diminuer les douleurs aux quadris. Accélérer pour avoir moins mal, il suffisait d'y penser pardi !
J'allonge donc, en pleine euphorie, et me permets le luxe de repasser ponctuellement sous les 7' au kilo, ce qui ne m'était pas arrivé depuis le 79ème km, quelque 20h plus tôt, quelque 20h plus frais.
L'ex-statique est congédié incontinent, l'extatique accueilli à bras ouverts et à jambes déliées.
Pas de doute : la bête est réveillée !
J'ai convoqué le Yack de Salon et sa fièvre me dicte le tempo ! Goooooo !!! On y go !
A moins de me prendre une balle, j'irai au bout. Et tant qu'à faire, on va même tâcher de finir cette course en compétiteur. Comme une course, quoi. Il est grand temps d'y penser. Vieux motard que j'aimais !
La section Cussy-Anost est vicieuse à souhait et me paraît inteeeeerminable.
Je n'avais pas du tout pris garde à ces 3km de grimpette, jusqu'à Montcimet, avant de se laisser glisser jusqu'au CP10 d'Anost qui me paraît loin, si loin !
Mais à nouveau, je distingue, 100m devant moi, le Van de Pierre et Paola.
Alors que j'approche, Pierre sort/saute du véhicule comme un diable de sa boîte. Il remplit une de mes gourdes de Seven Up (Ndlr : terrible arme de guerre dont la saveur acidulée-sucrée va faire des merveilles) et m'annonce tout à trac que je suis en train de remonter sur Jean-Michel et Patrick qui sont à peine à 500 et 800m en avant.
Chatouillé agréablement par la perspective de remonter au classement, je prends mon muscle à deux mains et, mon courage en bandoulière, relance encore la machine, motivé comme jamais.
Dans le même temps, Miss Coros m'annonce qu'il ne lui reste plus qu'1% de batterie.
Je devrai donc utiliser le Garmin pour la dernière section. C'était plus ou moins prévu. Pas de problème.
On pousse, on pousse, on pouuuuusse !!!
Et le CP est là, enfin, dans la mairie d'Anost.
13h45 - CP10 - Anost – 205km (211 pour moi)
Dernière section du DIM : 3h30 pour parcourir 19km.
Au sortir de la salle de la mairie, je constate tout à coup que j'ai complètement oublié de lancer le Garmin à la recherche de ses satellites. Damned ! Quel couillon ! J'aurais dû profiter de cette pause pour ça ! Je ne vais tout de même pas attendre là, bêtement, sur la place de la mairie, que le GPS se mette bien sagement en route. C'est que... le temps m'est compté !
Un chouïa contrarié, je m'élance donc dans la descente de la Route d'Autun, le roadbook à la main, et en cherchant à repérer ces petites flèches orange auxquelles je n'ai pas trop pris garde jusqu'à présent, comme je disposais du parcours sur l'écran de la montre. Maintenant, il va falloir y faire attention !
Après 700m, un bip du Garmin m'informe que le GPS est prêt à démarrer. OK ! Cette fois, c'est bien parti. Et on rajoutera donc ces 700m manquants à la distance réelle totale.
Dès la sortie d'Anost commence, avec la D88, une très longue montée en forêt. Cette ascension est très agréable. Les endorphines jouent sans doute à plein régime auxquelles s'ajoute l'excitation de voir la barrière horaire finale reculer à mesure que je progresse vers l'arrivée (depuis le CP9 de Gien-sur-Cure, j'ai pris l'habitude de recalculer le temps gagné à chaque nouveau km complété).
Sur un replat, à mi-ascension, je me surprends à traverser soudain un troupeau de chasseurs à courre, montés sur leurs chevaux, avec leur cor autour du cou. Cet équipage me surprend un peu et ne me rassure pas vraiment. Je n'apprécie guère cette faune carnassière. Fort heureusement, quelques hectomètres plus loin, les prédateurs, leurs canassons et leurs 4x4 embourbés en bord de route ne sont plus qu'un mauvais et déjà diffus souvenir.
Je repars à l'assaut de l'Hôtel de Ville de Château-Chinon, certes encore loin, mais qui se rapproche inexorablement. J'ai maintenant Jean-Michel en ligne de mire. Je le passe bientôt, l'encourage au passage, et poursuis sur ma lancée.
Quelque 2km plus loin, à l'entrée d'Arleuf, Jean-Michel est toujours dans mon sillage, ainsi que David qui continue ses sauts de puce en voiture. Cette proximité me sauve peut-être la mise, ou à tout le moins m'évite sans doute une énième séance de jardinage, lorsque je suis les consignes du roadbook en allant "en face au rond-point". J'était certes parti "en face", en suivant d'ailleurs une flèche orange, mais ce n'était pas le bon "en face". Il fallait prendre "l'en face d'en face". Compliqué. Il faudra que je relise mon petit Devos illustré, la prochaine fois, pour être mieux préparé.
Peu importe : David me fait des appels de phare et m'indique que je dois prendre à gauche dès que possible pour redescendre sur la route principale d'Arleuf. Je m'exécute et le remercie par de grands gestes (que j'espère explicites).
Un peu plus loin, nous devons prendre à droite "après la cornemuse".
Je cherche mais ne trouve nulle cornemuse aux alentours. Je frôle plutôt la douche écossaise en manquant à nouveau de me tromper de route. Il est temps que cette blague prenne fin décidément. Je commence à perdre ma lucidité, c'est évident.
A partir de la sortie d'Arleuf, il ne reste plus que 6km de descente en pente douce, suivie d'une toute dernière et délicieusement vicieuse grimpette finale jusqu'à Château-Chinon. Dans le premier km de la descente, je passe Patrick qui a maintenant du mal à courir et va finir en marchant.
Au lieu-dit Pont d'Yonne, alors que le début de la rampe finale se dessine devant moi, je décide de relâcher la pression et de reprendre la marche. La pente de cette dernière section aura eu raison de ce bel entrain de fin de parcours. Je ne suis pas pour autant désappointé de finir en marchant. C'est sûrement la meilleure solution pour ce Grand Finale qui s'annonce mémorable. Je conserve par ailleurs assez de lucidité pour comprendre que ces ressources trouvées en toute fin de DIM étaient inespérées et que je dois m'autoriser à m'en féliciter. Et c'est donc satisfait que j'arrive en vue de Château-Chinon centre.
Quand je bifurque dans la rue Jean Sallonnyer, j'ai le plaisir de voir Patrick Maccari venir à ma rencontre. Il m'explique avoir bâché assez tôt après s'être perdu mais avoir mis un point d'honneur à finir sa séance du week-end afin de réaliser les 100km qu'il s'était fixé comme objectif minimal. Alors que nous arrivons en bas de la Rue des Fossés qui mène à l'Hôtel de Ville et à l'arrivée, je reprends un petit trot, laborieux, "pour dire que", pour finir en courant. Karine finit également cette dernière ligne droite avec nous, comme elle l'aura fait pour chacun des Finishers du DIM. Et à l'arrivée, les copains sont là, souriants, qui m'accueillent, heureux et épuisé.
Quelle aventure !!!
Vivement la prochaine !